L’évolution du TDAH en France, une histoire de deux siècles

Depuis ses premières mentions jusqu’à sa reconnaissance officielle, l’histoire du TDAH en France nous relate de nombreuses interrogations et controverses. Savez-vous que ce dysfonctionnement, souvent mal compris, touche 5 % des enfants et 2,5 % des adultes dans le monde ? Le trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité englobe une combinaison de symptômes qui lui est propre, et dont les conséquences sont variables. Cependant, les comportements sont tellement différents d’un individu à l’autre que cela rend son repérage difficile. La normalité sociale voudrait-elle tous nous mettre dans des cases ? Pourtant, ce syndrome est bien réel. Présent dans la littérature depuis deux siècles, et régulièrement décrit de la même façon, il a souvent changé d’appellation. Plongeons ensemble dans les mémoires de la médecine, et dans les mécanismes de diagnostic et de traitement de ce mystérieux trouble.

L’école obligatoire au XIXsiècle : un tournant décisif pour la reconnaissance du TDAH en France

À la belle époque, les classes défavorisées sont considérées comme immorales, car associées à l’alcoolisme, la prostitution ou la délinquance. Cette perception a eu un impact majeur sur la façon dont la société les a traitées. La révolution industrielle a entraîné une expansion urbaine rapide et une pauvreté croissante, engendrant l’intention de contrôler les « sans dents » de cette ère.
À partir des années 1880, l’école devient obligatoire. Les enfants « anormaux », majoritairement issus de milieux misérables, sortent de l’ombre et leur comportement pose problème. Ils suscitent l’intérêt des institutions, qui mettent un point d’honneur à assurer leur instruction.
Ces enfants pouvaient être aveugles, sourds-muets, arriérés mentaux, épileptiques ou juste des « cas sociaux ». Ils ne pouvaient pas être internés en asile psychiatrique, mais présentaient des difficultés d’apprentissage très importantes ou des conduites inadaptées.
Les psychiatres et neurologues français ont mis leur expertise à contribution afin de repérer ces cas particuliers. L’enjeu était sociétal et éthique. Il fallait être dans le moule scolaire et dans la moralité de l’époque (ne pas mentir, ne pas troubler l’ordre public, etc.).

enfant misérable

L’« instabilité mentale », la première appellation du TDAH

Désiré-Magloire Bourneville est un des pionniers de la prise en charge dans l’histoire du TDAH en France. Ce médecin-chef de l’hôpital Bicêtre dirigeait la section des enfants « idiots » et épileptiques. Entre 1880 et 1890, il observe des cas ayant de fortes similitudes avec le trouble que nous connaissons. Il décrit alors essentiellement l’hyperactivité et l’impulsivité et détermine six formes d’« idiotie », dont les « instables ». Il s’est ainsi battu pour créer un « asile-école » capable d’accueillir et d’éduquer les petits ayant une déficience intellectuelle. À cette période, ces derniers étaient souvent négligés et maltraités. Mélangés aux adultes, ils étaient internés dans des conditions déplorables. Les agités avaient droit à la camisole ou on les attachait tout simplement à des poteaux.

Le concept se précise avec le déficit d’attention 

Élève de Bourneville, Charles Boulanger a participé aux études de son maître. Il a ainsi constaté que les enfants « instables » avaient un esprit comparable à la moyenne. En revanche, ils présentent des difficultés de concentration qui les poussent à l’immoralité et aux écarts de conduite. Il parle de sujets « intelligents », mais incapables d’organiser leurs tâches quotidiennes.

Il écrit alors une thèse très détaillée, mettant en exergue les antécédents personnels et familiaux. Ses observations mentionnent le problème de l’attention et se rapprochent des critères de diagnostics actuels. Bourneville propose ainsi une classification allant de l’« idiotie absolue » à l’« instabilité mentale ». Il décrit des troubles qui peuvent être apparentés à ceux du TDAH : 

  • Les enfants présentent une mobilité exubérante.
  • Ils passent d’une occupation à l’autre très rapidement.
  • Ils sont indociles et ne tiennent pas compte des remarques.

On arrive enfin à une définition éloignée d’une question morale selon la société de l’époque. Les enfants deviennent plutôt des « indisciplinés ».

Les premières structures spécialisées pour les enfants atteints de TDAH : une réponse à un besoin urgent

L’école obligatoire a donc permis la libération des enfants internés dans des structures pour adultes, sans hygiène, avec une promiscuité dérangeante… Bourneville, très impliqué, prend en charge une section spécialisée dans la thérapie des jeunes garçons et des « idiots ». Il met en place des travaux manuels adaptés afin de sortir ces cas, réputés anormaux, de leur condition d’exclus du système. Ses traitements médico-pédagogiques innovants incluent de l’activité physique, de l’horticulture, des promenades instructives, des sorties, et des médicaments (bromure ou remèdes à base de plantes).

En 1906, son unité comprenait quatre-cent-cinquante enfants de deux à dix-huit ans, la plupart issus de milieux défavorisés. Les 10 % de la « section des grands », qui ont tout de même obtenu leur certificat d’études, seraient peut-être considérés, aujourd’hui, comme atteints d’un TDAH. Bourneville a été précurseur des approches actuelles indiquées pour la prise en charge des victimes de tels troubles.

Les courants du début du XXe siècle : l’évaluation de l’« instabilité mentale »

En 1904, on confie à Alfred Binet, psychologue, le soin de dépister les élèves incapables de suivre une scolarité dans une école ordinaire. Avec son collaborateur, Théodore Simon, il met en place une échelle d’évaluation de l’intelligence. C’est l’apparition des premiers tests de QI (quotient intellectuel). Le but est de créer des classes spéciales pour les retardataires. Leurs observations des « instables » révèlent des enfants supérieurs aux arriérés. Agités, turbulents, ils ont besoin de soutien, de compliments, et de responsabilités. Ce test a permis de mesurer les symptômes, tel que peut le faire le questionnaire actuel en complément du diagnostic clinique du TDAH.

En parallèle, deux autres médecins, Georges Paul-Boncourt et Jean Philippe, décrivent une nervosité exagérée, une impulsivité et une manifestation hasardeuse de l’attention. Ce sont les premiers à constater des répercussions des difficultés pouvant aller de l’enfance à l’âge adulte.

cerveau découpé en plusieurs parties

L’instabilité psychomotrice : une nouvelle compréhension neurobiologique du TDAH

En 1917, une épidémie d’encéphalite frappe l’Europe et les États-Unis. Le corps médical remarque que les enfants qui y survivent présentent des troubles du comportement. On décrit alors des conditions psychiques « anormales » sans atteinte de l’intelligence générale. Après d’importants travaux de recherche, les chercheurs aboutissent à la conclusion qu’aucune cause organique ne peut être observée ou démontrée pour prouver l’existence du TDAH. L’aspect neurobiologique des symptômes prend ainsi de l’importance, lié à un fin examen psychologique. On s’attache à de supposées lésions cérébrales, qui passeraient inaperçues. La nouveauté réside dans l’intégration de ce facteur neurologique aux conditions familiales et environnementales. On entrevoit parallèlement les risques d’évolution vers la délinquance comme la face cachée du trouble.

Les années 1940 font l’objet d’une plus forte observation des marqueurs d’inattention. Les médecins évoquent une intelligence intuitive développée, contrairement à l’intelligence organisatrice, jugée très inférieure à la norme chez les enfants « instables ». Le déséquilibre concerne la personnalité entière du patient. On connote également un retard affectif et des difficultés d’autorégulation émotionnelle. La place des facteurs familiaux devient un nouveau centre d’intérêt dans la compréhension du TDAH.

Le DSM : la référence incontournable dans le monde de la psychiatrie 

Les courants de la psychiatrie, pendant les années 1950, sont très controversés. D’un côté, ils prônent l’exubérance motrice liée au déficit d’attention, et adoptent une vision plus globale du problème. Ils tiennent compte des traits familiaux, caractériels et affectifs. De l’autre, ils privilégient une approche héréditaire ou neurologique. Bien que la description du trouble soit la même dans les deux cas, les conceptions de son origine divergent déjà et rendent d’autant plus difficile le développement de traitements efficaces.

C’est à cette période qu’est créée la première version du DSM. Ce classement des maladies mentales, publié par l’APA (American psychiatric association), tente d’élaborer un tableau et une catégorisation des pathologies selon les statistiques collectées par les hôpitaux psychiatriques. L’idée de cet outil est d’homogénéiser les repérages à travers le monde. Cinq versions de cette « bible » se sont succédé jusqu’en 2013, mais aucun argument scientifique n’a jamais prouvé que le TDAH résultait d’une lésion cérébrale. Ce terme, apparu en 1980, a fait l’objet d’une révision de diagnostic en 1994.

L’apparition des psychostimulants : une avancée majeure dans le traitement du TDAH

Pour pallier l’insuffisance d’une unique prise en charge psychologique, les patients atteints de TDAH se voient administrer un psychostimulant qui accroît la production de dopamine dans leur cerveau. Les premières prescriptions de méthylphénidate datent de 1959. Il s’agit d’un dérivé d’amphétamines, découvert par le chimiste Léandro Panizzon en 1944. À l’origine, il avait synthétisé cette molécule pour aider sa femme, Margherita, à améliorer sa concentration et son jeu au tennis. Depuis, la Ritaline est devenue la « pilule miracle » du TDAH.

Histoire du TDAH en France : évolution du diagnostic et du traitement

Au cours des deux derniers siècles, la compréhension et la prise en charge du TDAH ont considérablement évolué en France et dans le monde. Le diagnostic repose sur des critères clairs, précis, et controversés, définis dans le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux). Le traitement est multimodal. Il combine généralement des thérapies comportementales, des interventions éducatives et des médicaments.

médecin qui met un traitement en place

Les principaux symptômes du TDAH selon le DSM : comprendre le tableau clinique 

Dans tous les cas, les troubles doivent se manifester par la présence, pendant au moins six mois, d’un nombre minimum de symptômes d’inattention ou d’hyperactivité-impulsivité. Au moins six symptômes pour les enfants jusqu’à seize ans, et cinq ou plus pour les adolescents et les adultes. Ils doivent être déclarés avant l’âge de 12 ans, et être inappropriés pour le fonctionnement social, scolaire ou professionnel. Ceci dans au moins deux contextes : école, travail, amis, parents, etc.

L’inattention 

Sans que cela soit dû à une incapacité à comprendre les consignes, les signes sont nombreux :

  • L’enfant ou l’adulte ne prête pas attention aux détails.
  • Il a du mal à se concentrer sur les tâches.
  • Il a tendance à ne pas écouter quand on lui parle directement.
  • Il ne suit pas les instructions.
  • Il a beaucoup de mal à s’organiser.
  • Il évite les tâches qui demandent un effort mental soutenu.
  • Il perd souvent les objets nécessaires aux activités.
  • Il est facilement ou souvent distrait.

L’hyperactivité-impulsivité  

Souvent à l’origine d’une réelle gêne fonctionnelle, ces symptômes sont envahissants : 

  • L’individu souffrant remue souvent les mains ou les pieds.
  • Il a du mal à rester assis.
  • Il est capable de courir ou de grimper dans des situations inappropriées.
  • Il a du mal à jouer calmement.
  • Il est souvent « sur la brèche ».
  • Il parle excessivement.
  • Il interrompt souvent les autres.
  • Il est très pénible pour lui d’attendre son tour.
  • Il agit ou parle sans réfléchir.

Les critères demeurent uniquement cliniques, il est donc difficile de déclarer ces comportements « pathologiques », car le diagnostic peut présenter des facteurs de confusion. En effet, certains individus sont dys, traumatisés, immatures, autistes ou tout simplement anxieux

Les traitements : une approche multimodale pour mieux gérer le TDAH

De nos jours, les thérapies cognitivo-comportementales ou familiales sont associées ou non à l’unique traitement médicamenteux, qui est toujours le méthylphénidate. Le sujet est brûlant, car il s’agit d’un dérivé d’amphétamine, classé comme stupéfiant… Notamment aux États-Unis, où certains enfants, quelque peu turbulents, se voient prescrire de la Ritaline. En France, la consommation a été multipliée par trente en quinze ans, malgré une préférence pour une prise en charge psychologique, éducative et sociale. Depuis le 16 juin 2022, les adultes bénéficient de son remboursement.

Il faut savoir que cette molécule ne guérit pas le TDAH. Le méthylphénidate, administré de façon régulière, a juste un effet sur les symptômes. Le miracle est qu’il fonctionne à très court terme, avec une réelle efficacité sur l’attention. 
Le risque d’usage détourné est bien présent et il est effrayant de considérer ce qui pourrait être une banalisation des psychotropes chez les jeunes. D’éminents scientifiques s’inquiètent de l’universalisation du DSM et du côté réducteur des maladies mentales répertoriées. Cet état de fait, lié à la pression sociale que nous connaissons, sème le doute quant à une médicalisation exagérée.

Les actions pour une meilleure prise en charge du TDAH 

Le TDAH est un handicap reconnu, chez les enfants comme les adultes. C’est aujourd’hui un enjeu de santé publique. Il peut avoir des conséquences négatives sur la scolarité, la vie au travail, les relations sociales et l’état mental des personnes qui en souffrent.

Pour aider les victimes, quantité de formations sont dispensées auprès des professionnels de santé et de l’éducation. Des associations se mobilisent également : Hypersupers-TDAH France ou TDAH partout pareil. Elles proposent des informations et du soutien aux familles et aux patients. Leur approche psychologique met l’accent sur le conseil et l’importance de certaines considérations de base pour le bien-être de l’enfant :

  • La qualité du sommeil est primordiale. L’exposition aux écrans, très présents dans nos environnements, perturbe la production de mélatonine, l’hormone qui favorise l’endormissement.
  • L’activité physique doit être assidue afin de canaliser l’énergie et améliorer la concentration.
  • Une alimentation saine, contenant peu de produits transformés, est bénéfique pour le développement du cerveau.
  • Un rythme de vie régulier est un gage de stabilité et procure un sentiment de sécurité.

En milieu scolaire, des aménagements sont proposés pour faciliter le quotidien des élèves atteints de TDAH. La HAS (Haute Autorité de santé) recommande de dépister les troubles entre trois et onze ans, afin de pouvoir intervenir le plus tôt possible et ainsi prévenir un futur penchant vers la délinquance. En effet, on suppose que les prisons sont remplies de nombreux détenus souffrant de TDAH dont seuls 10 % sont détectés et pris en charge. Souvent placés au sein d’établissements spécialisés, ils sont éventuellement confondus avec d’autres pathologies, et ne bénéficient pas de dépistage. Le développement des médias, grâce à tous les canaux d’information à notre disposition, pourrait éviter la désocialisation en interpellant des personnes n’ayant pas pensé être atteintes. Le parcours du combattant, face à ce handicap mystérieux, s’avère encore difficile aujourd’hui.

Malgré toute cette reconnaissance, et les nombreuses années de recherches autour de ce handicap, l’histoire du TDAH en France nous démontre qu’il est toujours délicat de le diagnostiquer et de le traiter. Aucun facteur biologique n’explique les symptômes. Ce n’est pas une maladie. On pourrait plutôt le considérer comme un problème de vue auquel il faut apporter des lunettes. C’est un trouble neurodéveloppemental aux origines diverses qui n’est ni une psychose ni une démence. Juste une difficulté à se développer et à s’adapter à l’environnement. Beaucoup d’actions sont mises en place : rassurer les parents, procurer du soutien pour aider à l’intégration à l’école, privilégier le sport et le contact social. Comme Bourneville en somme…

Vous souhaitez poursuivre votre découverte de la neurodiversité ? Parcourez notre article sur les atypies chez l’enfant.

Christine Labbé

Sources :
Cairn info. La psychiatrie de l’enfant
Avis de la HAS pour le remboursement de la Ritaline
Description du TDAH selon l’INSERM
Diagnostic du TDAH, université d’Oxford
Prise en charge du TDAH, document de la HAS



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