Florence Amaudru : un engagement sincère pour la reconversion des profs
Florence Amaudru est la créatrice et l’hôte du podcast Avant J’étais Prof. Dans cette émission, elle partage des témoignages d’enseignants ayant osé la reconversion. En octobre 2023, elle a signé la préface du nouveau Guide de la Reconversion des Profs. Je suis allée à sa rencontre pour échanger sur son parcours, ses projets et son engagement pour aider les enseignants.
Dans cette interview, nous allons parler de voyages, d’un podcast qui n’existait pas, d’invités inspirants, de quitter l’enseignement, de la peur de changer de métier, de formation et d’écouter son corps avant le burn out. C’est parti !
Bonjour Florence, tu as créé le podcast Avant J’étais Prof en 2019, quand tu étais professeur des écoles. Comment as-tu eu l’idée de ce média ?
Le tout début, c’est quand j’ai été mutée à Saint-Malo. J’habitais à Rennes : une heure de route matin et soir. J’écoutais des podcasts dans la voiture, notamment l’émission De vraies vies, sur des femmes qui avaient fait des voyages au long cours. À l’époque, je croyais que les podcasts parlaient uniquement de voyages !
Je voulais déjà changer de métier. Alors, j’ai cherché des podcasts sur la reconversion. J’en ai écouté plusieurs, mais les invités n’étaient pas profs. Ils parlaient, par exemple, de rupture conventionnelle, un dispositif qui n’existait pas encore pour les enseignants. J’ai donc tapé Avant J’étais Prof, un titre qui me semblait logique, mais je n’ai rien trouvé. Je me disais : « J’espère que quelqu’un va le créer, ce podcast sur la reconversion des profs ».
Un an plus tard, pendant un voyage en Amérique du Sud, j’ai regardé à nouveau sur ma plateforme d’écoute, mais ça n’existait toujours pas ! Dans un bus en Argentine, j’ai dit à mon copain : « Et si je le faisais ? » Il m’a encouragée à me lancer.
Tu avais déjà une expérience audio ?
Non, pas du tout. J’ai fait des recherches et je me suis débrouillée avec des tutos. J’ai contacté des anciens profs en leur disant : « Je ne suis pas heureuse dans mon métier, je cherche des idées pour partir, est-ce que tu veux répondre à mes questions ? »
J’étais tellement timide ! Avant chaque interview, j’étais malade. Je me disais : « Je ne vais pas le faire, je ne vais pas le faire ». Pendant les entretiens en visio, je ne mettais pas la vidéo. Je me cachais. Après, je me suis rendue compte que le langage non verbal est intéressant, notamment pour éviter de se couper la parole. À partir de la fin de la saison 2, j’ai donc commencé à mettre la caméra. 🎥
Tu te souviens des premiers épisodes ?
Ouiiii ! Je ne savais pas comment faire. C’était la panique ! 😅
Pour mon premier épisode, j’ai trouvé mon invité trois heures avant la publication annoncée. Je n’avais pas imaginé que le montage allait me prendre plus de dix heures ! Mes questions partaient dans tous les sens. La publication du podcast était souvent faite à la dernière minute parce que je n’anticipais pas la mise en ligne. Mais ensuite, j’étais fière de moi, comme quand tu fais une course à pied et que tu passes la ligne d’arrivée.
Et maintenant, comment se passent les entretiens ?
Cette saison 4 est vraiment une révélation ! Comme je suis plus à l’aise, les gens sont plus à l’aise. Pas de stress. Je leur dis que si un début de phrase est mal formulé, il suffit de le refaire.
Maintenant, je délègue le montage, qui prend beaucoup de temps. Je fais partie d’un groupe de podcasteurs, où j’ai rencontré Alice, du studio Les belles fréquences, qui est ingénieure du son. Elle fait le montage de mon podcast depuis la saison 3. Du travail de pro ! 🎙️
Comment trouves-tu tes invités ?
La toute première année, j’ai cherché avec le hashtag #avantjetaisprof sur Instagram. Et c’est comme ça que je suis tombée sur Diana et Pépita, par exemple. Elles avaient fait une publication sur leur reconversion en utilisant ce hashtag.
Maintenant, je n’ai plus besoin de chercher : ma communauté m’envoie des contacts. Je dois faire un gros travail de tri, par contre, pour présenter des métiers qui n’ont pas déjà été mis en avant.
Grâce aux interviews que tu as réalisées pour le podcast Avant J’étais Prof, tu as réussi à quitter l’Éducation nationale. Comment as-tu découvert ta voie ?
J’ai eu un premier déclic avec Diana, qui était calligraphe, son métier-passion. Quand elle m’a dit qu’elle avait gardé un job alimentaire à côté, ça m’a détendue. J’ai compris que je n’étais pas obligée de trouver un seul métier. Et que si ça ne me rémunérait pas complètement, rien ne m’empêchait de faire comme elle : prendre un job alimentaire à côté, comme les boulots que j’avais quand j’étais étudiante. J’ai pris conscience qu’avoir un job étudiant est hyper important pour la confiance en soi.
Deux épisodes plus tard, il y a eu Élodie, qui était rédactrice web. Elle parlait de la formation de Lucie Rondelet, une formation que j’avais découverte deux ans plus tôt. J’avais regardé plein de vidéos sur YouTube. Lucie était en Nouvelle-Calédonie à cette époque. Elle faisait des vidéos au soleil, avec des paysages magnifiques. Je me suis dit : « Quelle arnaque ! » Être payée pour écrire des articles de blog, ça me paraissait impossible.
Avec mes premiers invités, j’ai aussi découvert le statut d’auto-entrepreneur. Je ne m’imaginais pas du tout à la tête d’une entreprise. Ça a été une autre révélation.
Tu es rédactrice web aujourd’hui ?
Oui, j’ai finalement suivi la formation de Lucie Rondelet. 😄
J’ai créé mon entreprise et je me suis lancée. Au début, j’ai pris tout et n’importe quoi : articles, planning édito, audits de site, avec des agences ou des clients directs. Je n’ai jamais rien négocié. Assez rapidement, j’ai dû dire non car j’avais trop de propositions. J’ai écrit pour tous types de clients : plomberie, vigne, marketing, cryptomonnaie… Après quelques mois, j’ai fait du tri pour ne garder que les thématiques qui m’intéressaient.
Quand j’ai commencé, j’étais en disponibilité. J’avais un peu d’argent de côté mais il fallait quand même que je gagne ma vie. Au bout de six mois, mon chiffre d’affaires correspondait à mon salaire de prof. J’étais soulagée ! Je travaillais 25 à 30 heures par semaine, je touchais autant qu’avant et j’avais du temps libre.
Je me suis alors autorisée à développer le podcast et je suis repartie en voyage. J’ai passé 9 mois en Équateur, où j’ai travaillé dans une auberge de jeunesse.
Tu as quitté l’Éducation nationale après la première saison du podcast. Tu avais trouvé ton nouveau métier. Pourquoi avoir continué le podcast ensuite ?
J’aime profondément le milieu du podcast. Si j’avais arrêté celui-ci, j’en aurais créé un autre. Un de mes auditeurs m’avait demandé si j’allais “léguer” mon podcast à quelqu’un. Ça a été terrible : j’ai eu l’impression qu’on allait me voler un organe vital ! J’avais juste pas envie de l’arrêter !
Et puis, Avant J’étais Prof pouvait encore m’apporter des choses car je me posais alors des questions sur le concret (la création d’entreprise, par exemple). Et surtout, il y avait toute cette communauté qui grandissait autour du podcast, tous ces messages que je recevais : « C’est d’utilité publique. », « Merci pour ton podcast. », « Grâce à toi, j’ai changé de vie. » Cette reconnaissance, ces compliments, c’était gratifiant. Ça me donnait confiance en moi.
Et maintenant, quelles sont tes motivations ?
Passé la troisième saison, je n’avais plus besoin du podcast pour ma propre reconversion. Mais je suis devenue un peu “référente” dans la reconversion des enseignants. Et je me sens investie d’une mission : j’ai envie de partager tout ce qui est possible. Je peux relayer des informations que les gens m’apportent.
J’ai négocié des codes promo avec certains formateurs pour tous les gens qui n’ont pas la chance de débloquer leur CPF (Compte personnel de formation) comme moi j’ai pu le faire. Ça leur fait une petite réduction pour financer leur projet, c’est toujours ça de pris. Une petite aide financière, en plus de la petite aide morale, en plus des petits exemples… Mon but, c’est d’apporter assez d’énergie, de témoignages et de motivation pour que les gens puissent avancer. Mais je ne vais pas me reconvertir à leur place !
Tu reçois des messages de tes auditeurs ?
Certaines personnes m’écrivent en disant : « Oui, mais… » Et j’ai remarqué que les gens ont tous les mêmes “mais” : les enfants encore petits, le crédit à payer, la famille qui ne comprend pas cette idée de reconversion, etc. Le problème, ce ne sont pas les enfants, le crédit ou la famille. Le problème, c’est la peur, la peur de ne pas gagner assez d’argent.
Alors, il faut que chacun avance à son rythme et crée son propre parcours. La reconversion peut prendre plusieurs années. C’est pour ça que j’essaie de présenter dans le podcast des profils différents :
- hommes et femmes ;
- personnes célibataires, séparées ou en couple ;
- avec ou sans enfants ;
- loyers, dettes, prêts ;
- parents à charge ;
- pas de mobilité géographique ;
- entrepreneurs, salariés, retour au fonctionnariat, passerelles possibles…
Ça va être long de faire le tour.
Quels sont tes projets pour le podcast ?
Je me suis fixée d’aller au moins jusqu’à la fin de la saison 5, avec un épisode spécial pour le numéro 50 : le mien ! 😇 On me demande souvent quel a été mon parcours, mais j’attends de savoir où ça va me mener.
Ensuite, mon projet serait de retourner voir mes invités pour voir où ils en sont, s’ils ont des regrets, s’ils ont changé, s’ils sont retournés dans l’enseignement…
Que fais-tu actuellement ?
Cette année, j’ai arrêté les missions de rédaction web. J’ai eu des propositions récemment, que j’ai transmises à des connaissances. Je ne peux pas accepter de longues missions car je vais partir en Nouvelle-Zélande en fin d’année 2023.
Pour le moment, je conçois mon site web pour essayer de vivre du podcast. Je verrai dans six mois si cela me permet de me rémunérer correctement. Sinon, je reprendrai la rédaction web. Dans ce cas, je continuerai le podcast (parce que je l’aime trop 🥰), mais j’y mettrai moins d’investissement.
Tu as créé une formation cette année. Tu peux nous en parler ?
La formation s’intitule 30 jours pour créer son podcast. Nous sommes deux : Solène du podcast Friendship et moi. Nous avons choisi de faire des vidéos courtes et des exercices, pour être dans l’action. Et nous organisons une visio mensuelle Podcastons ensemble pour se soutenir et motiver tout le monde.
Nos élèves progressent : deux d’entre eux ont déjà lancé leur podcast, et trois autres sont sur le point de le faire. Certains ont du mal à passer le stade des premiers enregistrements : ils ont peur de se lancer ou ils n’aiment pas leur voix. J’ai connu cette étape aussi : je ne voulais pas poster mes épisodes au début car je n’aimais pas ma voix. Mais j’avais annoncé la sortie du podcast sur les réseaux sociaux. J’étais trop engagée pour faire demi-tour.
Tu as rédigé la préface du Guide de la Reconversion des Profs. Pourquoi as-tu accepté ce partenariat quand je te l’ai proposé ?
Je ne me suis pas vraiment posé la question. C’était une opportunité à ne pas manquer. Écrire la préface d’un livre, ça signifie que ta parole compte, que tu as quelque chose d’assez intéressant à transmettre. Ce truc, c’est mon podcast. Cette préface, c’était un défi. Je n’avais jamais fait ça de ma vie et je ne savais pas comment faire. L’idée m’a plu.
Je trouvais ça cool de lier deux médias : l’écrit et l’audio. Ça vise plusieurs générations à la fois. C’est une belle association. L’objectif est le même : aider les enseignants qui sont malheureux dans leur profession et leur donner des pistes pour en changer.
Ce partenariat donne de la visibilité au podcast, donc plus d’opportunités, peut-être du sponsoring, donc des revenus qui me permettraient de continuer le podcast avec plus d’interviews, de choix et d’aides pour les profs.
Et puis, j’aime le côté mise en relation : mettre en avant quelque chose de bien, de qualitatif, maintenant que j’ai un peu de visibilité avec le podcast et les réseaux sociaux. Je me sens utile. Je n’aurais pas su écrire ce livre mais j’aurais aimé pouvoir le lire. Les choses n’arrivaient pas jusqu’à moi quand je voulais me reconvertir.
Que penses-tu du Guide de la Reconversion des Profs ?
Comme le podcast, le livre a un côté positif : le but n’est pas de critiquer l’Éducation nationale ou de pointer du doigt les dysfonctionnements. Il n’y pas de dénonciation, d’agressivité, de colère. Toutes les deux, nous avons la même approche. Ça n’aide pas à aller mieux de savoir que les autres non plus ne vont pas bien.
Se battre pour faire changer l’école, comme le fait William Lafleur, c’est important, bien sûr, mais ce n’est pas mon combat. Je préfère proposer des solutions rapides et concrètes pour aider ceux qui veulent quitter le système. Trois ans après la sortie de mon podcast, il y a plein de gens qui se sont reconvertis.
Si on pouvait faire plus, on le ferait sûrement. Mais si les personnes ne s’investissent pas, ça ne fonctionne pas. Par exemple, quand une formation est payée par le CPF, les gens ne la finissent pas toujours. Quand la personne se lance, paie de sa poche et n’a pas de plan B, elle s’investit à fond.
Il y a des gens qui prennent des formations pour se sortir de quelque chose, pour s’en aller, pour fuir. C’est différent de ceux qui prennent une direction pour aller quelque part. Ce ne sont pas les mêmes motivations.
As-tu des conseils pour les profs qui sont en souffrance dans leur métier ?
S’écouter, écouter sa tête, son cœur et son corps. Quand le corps parle, c’est souvent que ça n’allait déjà pas avant et qu’on n’a pas écouté. On en prend conscience après.
S’écouter, c’est difficile. Les enseignants qui ne vont pas bien culpabilisent de se mettre en arrêt parce qu’il n’y aura pas de remplaçant dans leurs classes. Ça ne devrait pas arriver. Moi-même, je n’ai pas su comment faire. Quand j’étais prof, j’avais des malaises, des nausées, des étourdissements, des vomissements, des plaques sur la peau… J’ai mis longtemps à comprendre que ça venait de mon travail et que je devais changer.
Après, c’est bien installé : j’étais malade le jour de la rentrée et à la fin des vacances de Toussaint, même si je n’étais plus prof. 🤒 Aujourd’hui, je n’ai quasiment plus de pression, mon travail ne me stresse plus. C’est moi qui ai choisi. J’avais choisi l’enseignement aussi, mais je n’avais pas choisi de telles conditions de travail.
Si on veut quitter ce métier, c’est qu’il y a une raison, un besoin, une envie. On ne le fait pas pour le plaisir. On se trouve des excuses pour se convaincre que ça va : j’ai les vacances, j’ai mon mercredi, etc. Parfois, notre entourage veut nous dissuader. Il faut entendre les autres mais s’écouter soi. On est la personne la mieux placée pour savoir ce qui est bon pour nous.
Merci Florence d’avoir répondu à mes questions.
Interview réalisée le 10 novembre 2023 par Natacha Colbert, autrice du 🧭Guide de la Reconversion des Profs
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🔴 Enfin, si vous voulez en savoir plus sur les signes avant-coureurs du burn out, je vous invite à lire le chapitre 2 du 🧭 Guide de la Reconversion des Profs intitulé “Prendre conscience de son mal-être”.
🔗 Mon témoignage, un an après ma reconversion