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Enfant préféré, un tabou familial

Le favoritisme parental est un sujet quelque peu « tabou » pourtant bien présent dans le cercle familial. Peu de parents osent avouer qu’ils se comportent de façon différente envers leurs enfants. Le font-ils sciemment ? Pourquoi ont-ils un enfant préféré ? D’où vient cette attirance plus ou moins marquée pour un fils ou une fille ? Nuit-elle au bon développement de l’enfant ? Comment l’éviter ? Pourquoi cette réalité reste-t-elle le plus souvent cachée ?

Qu’est-ce que le favoritisme parental ?

Par définition, il s’agit de la tendance à accorder des avantages plus ou moins injustes à quelqu’un. Remontons un peu dans l’histoire pour en connaître l’origine.

Au Moyen âge et sous l’Ancien Régime régissait le droit d’aînesse qui réservait au fils aîné d’une fratrie la majeure partie de l’héritage familial au détriment de ses frères et sœurs. Heureusement, celui-ci fut aboli définitivement en 1849. Dans la royauté française, la loi salique, excluant les femmes de la succession, s’appliquait. Le roi se devait d’avoir un fils pour en faire son héritier.

Bien que ces pratiques soient révolues, le favoritisme parental est toujours présent. Cette préférence est souvent dissimulée plus ou moins consciemment par le père ou la mère, car elle nuit à l’image du foyer idéal et harmonieux où tout est partagé équitablement.

Qu’est-ce qui engendre cette priorité affective ?

Une étude menée par Katherine Conger, sociologue américaine et professeure à l’université de Californie, auprès de 384 familles, l’amène à ce constat surprenant : plus de 70 % des parents favorisent un enfant plus qu’un autre. Difficile à croire ?

Les résultats de l’enquête apportent quelques pistes à cette réalité cachée. Le but n’est pas de vous faire culpabiliser, ce phénomène est tout à fait naturel. Les enfants eux-mêmes, à force de comparer, font naître un sentiment de jalousie envers leur frère ou leur sœur. Ils ont souvent l’impression qu’il ou elle est meilleur en tout. Ce sentiment préférentiel est parfois à peine perceptible. Quelques possibilités ressortent cependant de cette étude et nous montrent d’où cela peut venir.

La place de l’enfant dans la fratrie

L’aîné reçoit toute votre attention puisqu’il n’y a que lui. C’est la première grossesse pour la future maman, puis vient la délivrance, vous fusionnez avec votre bébé, et plus encore si vous lui donnez le sein. Vous aurez forcément passé plus de temps avec lui, ce qui semble logique. 

L’enfant qui vous ressemble le plus

Eh oui ! C’est votre portrait craché. Cette constatation provoque une attirance particulière envers cet enfant. Plus il grandit, plus il développe vos traits de caractère ou votre personnalité. Un papa sportif va, par exemple, faire découvrir le foot à son fils. Il va se sentir plus proche de lui, car il partage sa passion avec lui.

Le sexe de l’enfant

Vous vouliez un garçon ? Quelle joie lorsque vous apprenez que vous avez un fils ! Ça matche tout de suite. Vous aviez plein de projets en tête pour lui et vous allez pouvoir les réaliser. Au contraire, il arrive qu’un enfant soit rejeté par son père ou sa mère parce qu’il ou elle ne correspond pas à l’être tant attendu pendant ces 9 mois.

Les circonstances de sa naissance – enfant plus fragile

Les grossesses ne se ressemblent pas. Soit tout se déroule parfaitement, soit il y a quelques difficultés : accouchement compliqué, bébé prématuré, atteint d’un handicap, enfant atypique, etc. Autant d’aléas qui font que vous devez porter une attention particulière à votre progéniture. Est-elle pour autant privilégiée ?

Toutes ces raisons n’amènent pas obligatoirement à un favoritisme parental, mais l’étude a permis à certaines familles d’admettre une réalité qu’elles ne souhaitent pas mettre en lumière, en disant : « Nous aimons chacun différemment ».

Cette préférence parentale est-elle néfaste pour le développement de l’enfant ?

Ce sentiment de ne pas être l’heureux élu est très mal vécu chez certains. Cette sensation disparaît-elle en grandissant ? Il semble que non, hélas, le favoritisme parental reste présent même à l’âge adulte.

Comment se manifeste-t-elle ?

L’installation de cet état préférentiel atteint des niveaux variables. La différence est beaucoup plus visible dans certaines familles et difficilement supportée par l’enfant.

Sans vouloir l’admettre, nombre de parents accordent plus d’attentions et de privilèges à leur favori. Ils n’ont que son prénom à la bouche et ne cessent de dire du bien de lui. Ils passent davantage de temps avec lui en pratiquant des activités. Parfois même, la scolarisation de l’élu est avantagée au détriment de la fratrie.

Une amie m’a raconté que lorsque son conjoint était petit, il avait été délaissé à tel point que ses parents ne s’occupaient pas de son alimentation, mais bien plus de celle de son frangin.

Que ressent l’enfant moins aimé ?

Favoritisme parental : un enfant trouve du réconfort auprès de son ours en peluche
L’enfant oublié trouve du réconfort auprès de son ours en peluche.

L’être négligé est moins heureux, plus enclin à la dépression, et cet état l’accompagne aussi dans sa vie d’adulte alors qu’il ne vit plus avec son père ou sa mère. Il se sent parfois coupable. Le favoritisme provoque chez lui un sentiment d’injustice qui le fait souffrir en silence. Certaines rivalités entre frères et sœurs sont d’ailleurs issues de ces inégalités subies au cours de leur éducation. La préférence parentale peut générer une jalousie maladive.

En général, ceux qui ont souffert de cette différenciation affective ne la reproduisent pas lorsqu’ils fondent, à leur tour, une famille.

Comment éviter le favoritisme ?

Ce phénomène ayant beaucoup d’impact sur vos chérubins, voici sept astuces pour vous aider à y remédier.

  1. Soyez attentif à votre comportement et faites une auto-analyse rapide afin de prévenir le favoritisme. Dans quelle circonstance se produit-il et pourquoi ?
  2. Écoutez vos enfants. Parfois, votre façon d’être ou de leur parler peut leur laisser percevoir une certaine préférence.
  3. Expliquez-leur et justifiez votre attitude. Par exemple, si un de vos enfants est malade, précisez à son frère ou à sa sœur pourquoi il ou elle nécessite plus d’attention, et incitez-le à participer.
  4. Ne faites pas de comparaison devant eux, du genre : « Ton frère réussissait bien à l’école… ». Au contraire, privilégiez ce que chacun fait de bien.
  5. Consacrez du temps seul avec chacun de vos enfants.
  6. Ne cherchez pas à être égalitaire à tout prix, donnez à chacun ce dont il a besoin.
  7. Complimentez-les chacun pour ce qu’ils sont et ce qu’ils font, à des moments différents.

Cet article vous a titillé un peu l’esprit et a suscité chez vous des interrogations ? Suis-je un bon papa ou une bonne maman ? Rassurez-vous, jouer au foot avec votre fils et faire du vélo avec votre fille ne prouve pas que vous avez une attirance particulière pour l’un ou pour l’autre. L’essentiel est que votre bambin se sente aimé de la même façon par ses deux parents au sein de la famille.

Favoritisme parental : famille sur un ponton devant un coucher de soleil
Famille profitant d’un coucher de soleil sur la mer

Favoritisme parental : mon témoignage

Premier bébé

L’idée de cet article m’est venue tout naturellement, ayant moi-même été confrontée au favoritisme parental. Comme pas mal d’entre vous, je suis le fruit d’un « accident », je n’ai pas été désirée. Le premier enfant, mon frère, un garçon suffisait à combler mes parents. Ma mère a très mal pris l’arrivée de cette deuxième grossesse et l’a reprochée à mon père. C’est lui-même qui m’a dit un jour : « Tu n’étais pas voulue ». C’est sûr, un deuxième bébé chamboule beaucoup de choses dans une famille et dans la maison. 

Sexe de l’enfant différent

« Ce sera mieux si c’est un garçon, on les mettra dans la même chambre », avait dit mon père. Couac ! Me voici : une fille ! J’étais d’ailleurs plutôt « garçon manqué » ! Cherchez l’erreur !

Au début, mon frère s’occupe de moi, me tient la main pour aller à l’école, puis en grandissant, nous nous disputons beaucoup. Cette rivalité était-elle causée par le favoritisme parental ? Je me souviens que lorsqu’une bêtise arrivait, c’était moi qui étais réprimandée.

Mes parents étaient très fiers de mon frère et le valorisaient. Cette préférence a perduré jusqu’à leur mort.

État préférentiel non dissimulé

Pour l’argent de poche, c’était 30 francs pour moi et 100 francs pour mon frère. « Tu es plus petite, c’est pour ça que tu en as moins », prétextait mon père.

Lorsque j’ai passé mon permis de conduire, j’ai dû retirer mes économies pour le payer. Mes parents étaient aussi plus réticents à me prêter la voiture. Mon frère avait déjà eu quelques accidents et pas moi, mais ils n’en tenaient pas compte.

Un jour, alors que j’étais au travail, il pleuvait énormément. Ma mère était inquiète.  Comment son fils « préféré » allait-il faire pour aller à l’usine ? (Il bossait la nuit). Quant à moi, je devais rentrer, j’étais à environ 30 kilomètres de là, et elle ne se souciait pas de savoir si j’allais pouvoir revenir malgré les inondations.

Continuité du favoritisme envers les petits-enfants

Plus tard, j’ai également noté cette différence envers mes enfants. J’ai eu deux garçons et maman n’est jamais venue me voir à la maternité. Mes parents se sont toujours moins intéressés à eux.

Mon frère et moi, nous étions un peu éloignés avec nos familles respectives, et de leur côté ni ma mère ni mon père n’ont essayé de nous rapprocher. Au contraire, cela semblait les satisfaire.

Mon ressenti

Malgré tout ce vécu, je n’ai pas l’impression d’avoir eu une enfance malheureuse. Je vivais ma vie d’enfant et n’avais pas vraiment conscience de cette différence. Ce n’est que plus tard que je me suis réellement rendu compte du comportement de mes parents et du peu d’amour que j’ai reçu de leur part. Je n’ai d’ailleurs pas beaucoup de souvenirs de ma vie de petite fille, mais je pense qu’au travers de ces quelques exemples, tout est clair. Quant à mon frère, il a très vite su qu’il était le chouchou.

Favoritisme parental : les mains du père et de la mère forment un cœur autour des pieds de leur enfant préféré
Papa, maman, bébé

Quoi qu’il en soit, les études l’ont prouvé, rares sont les parents qui reconnaissent d’emblée avoir un enfant préféré. Fait en pleine conscience, ce phénomène dérange et suscite la honte, c’est pourquoi il est tabou. Le chouchou s’en sort toujours mieux, mais il reste impuissant face au comportement de ses parents. Cependant, ces différences de traitement laissent des traces profondes et indélébiles chez ces bébés mal-aimés et défavorisés. En plus de nuire aux relations fraternelles, le favoritisme parental porte préjudice au bien-être physique et psychologique de l’enfant. Ne dissimulez pas vos sentiments et prenez conscience de cette réalité cachée, aimez chacun de vos fils ou filles comme ils sont et pour ce qu’ils sont, sans chercher à les comparer.

Delphine Limousin

Sources :
www.lemonde.fr
www.psychologie.com

➡️ Que penser de cette « pédagogie noire » ? Faut-il pardonner ses parents ? Dans son livre, Notre corps ne ment jamais, Alice Miller nous explique comment les carences éducatives et les mauvais traitements subis dans l’enfance nous marquent à vie.

➡️ Découvrez également sur Lune Démasquée un autre article invité rédigé par Delphine : Le pouvoir mystérieux du chat pour apaiser les tensions.

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