Quand notre corps nous parle, écoutons-le

Pensez-vous que votre enfance peut avoir des répercussions sur votre vie d’adulte ? En s’appuyant sur la biographie d’écrivains célèbres comme Arthur Rimbaud ou Marcel Proust, Alice Miller analyse dans son livre Notre corps ne ment jamais les conséquences de l’éducation sur le corps et l’esprit. Carences éducatives et mauvais traitements infligés par des parents toxiques nous marquent à vie. Pourtant, la morale nous dit de leur pardonner et de respecter notre père et notre mère. Comment entendre le langage du corps et mettre en lumière notre intime vérité ? Doit-on toujours aimer ses parents ?

« Il faut respecter ses parents »

Le quatrième commandement du Décalogue est clair : l’enfant doit respect et honneur à ses parents. Docile et obéissant, le fils ou la fille reconnaît que son père et sa mère lui ont donné la vie. Quand le jeune adulte s’émancipe, il garde des responsabilités envers ses ascendants. Cependant, cette loi morale suppose que les parents ont un devoir d’éducation. Ils doivent veiller à la sécurité de leur enfant et contribuer à son entretien, matériel et moral, en fonction de ses besoins. L’instruction est obligatoire : les parents assurent l’éducation intellectuelle, professionnelle, civique, etc. de leur progéniture.

Voilà pour la théorie.

Dans la pratique, de (trop) nombreux enfants subissent dans le cadre familial une violence dite « ordinaire ». Alice Miller (1923-2010), psychanalyste et docteure en psychologie, est connue pour ses recherches sur l’enfance. Ses livres sur l’éducation l’ont rendue célèbre. Elle s’est engagée contre la violence familiale et dénonce, plus largement, les conséquences de la « pédagogie noire ».

Violence familiale : le doigt accusateur d'une mère pointé vers un enfant terrorisé
La pédagogie noire : respecter (et craindre) ses parents

« Notre corps ne ment jamais » d’Alice Miller

Ce livre, publié en 2004, est un des derniers de l’autrice, rendue célèbre par la parution de son premier ouvrage C’est pour ton bien en 1988. Elle s’appuyait alors sur l’exemple d’Hitler pour expliquer comment les méthodes anciennes d’éducation, source de violences visibles et invisibles, avaient des répercussions sur le comportement ultérieur des adultes.

La première partie de l’essai Notre corps ne ment jamais présente l’histoire familiale et le passé traumatique d’écrivains célèbres : Schiller, Virginia Woolf, Arthur Rimbaud, Mishima, Marcel Proust et James Joyce. Tous ont subi le joug d’un parent maltraitant. La violence éducative peut prendre de multiples formes : coups, abandon, étouffement symbolique d’une mère invasive, absence de communication nutritive, inceste, etc. L’enfant tourmenté refoule sa souffrance. Il vit dans l’obéissance et la peur, espérant recevoir un jour l’amour dont il a tant besoin. Mais c’est une quête illusoire. L’attachement aux parents n’est pas sain.

Devenu adulte, il cherchera toujours à satisfaire son bourreau, dans l’espoir inconscient d’obtenir enfin cette reconnaissance qu’il désire tant. En vain. Certains accompagnent ainsi leur géniteur ou leur génitrice sur son lit de mort, mais jusqu’à l’ultime minute, ils seront délaissés. Ils ne recevront jamais l’attention, la communion et l’amour que ces parents sont incapables de donner.

Quand notre corps nous parle

La relation toxique entre un parent et son enfant peut devenir un véritable poison, libéré dans le corps. Ses répercussions gâchent la vie quotidienne et peuvent mener jusqu’à la dépression.

Somatisation : des symptômes souvent négligés

Notre corps a son langage. Par les maux, il nous rappelle notre histoire. Nous devons l’écouter. Les signes visibles peuvent être :

  • des douleurs musculaires ou squelettiques ;
  • des troubles alimentaires ;
  • un syndrome intestinal ;
  • des migraines ;
  • des inflammations diverses ;
  • de l’eczéma ou autre maladies cutanée chronique ;
  • des allergies ou des intolérances ;
  • un déséquilibre hormonal, etc.

Ces symptômes sont souvent liés à une somatisation anxieuse. L’enfant maltraité par sa mère ou son père fait tout pour plaire à son bourreau. Il vit dans l’attente d’une validation qui n’arrivera jamais. Le regard négatif porté sur lui peut tuer ses propres sentiments et besoins. Il perd la capacité à les ressentir et ne cherche plus à les satisfaire. L’anxiété le ronge. Ses difficultés psychiques peuvent le conduire à la dépression.

Si vous avez des douleurs inexpliquées, je vous invite à découvrir les vidéos de Cyrinne Ben Mamou. Cette docteure en neurosciences fournit des informations claires sur le stress causé par un trauma (violence subie, accident, deuil, etc.). Le corps peut ensuite, parfois, s’enfoncer dans le traumatisme. En décryptant l’origine de vos symptômes, vous pourrez progresser pour aller mieux.

La parole pour sortir du traumatisme

Dans son livre Notre corps ne ment jamais, Alice Miller dénonce la pédagogie noire, concept défini par Katharina Rutschky (1941-2010), qui vise à soumettre l’enfant à l’adulte éducateur. Les exigences morales qui pèsent sur le jeune sont si fortes qu’il vit dans la crainte du châtiment ou du rejet. L’attachement pathogène à ses parents est tout sauf de l’amour. S’il n’en prend pas conscience, ces liens destructeurs deviendront un poison. La morale traditionnelle enferme l’individu dans cette prison en lui apprenant qu’il doit respecter ses parents.

Notre corps ne ment jamais : une femme de dos avec l'inscription sur sa peau "Love shouldn't hurt"
L’enfant devenu adulte reste enfermé dans une quête d’amour vouée à l’échec

Pourtant, c’est en coupant ces liens toxiques que l’enfant maltraité devenu un adulte en souffrance pourra s’émanciper : intérioriser ses parents, comprendre la nature exacte de l’éducation reçue, sortir de l’illusion d’un amour maternel ou paternel qui n’existera jamais. Pour cela, la présence d’un témoin lucide est nécessaire : un thérapeute, un ami, un autre membre de la famille. Grâce à lui, l’adulte va réussir à se libérer de son attachement destructeur d’enfant tourmenté. Il va pouvoir formuler son indignation envers le comportement de ses parents et intégrer dans sa tête l’histoire que son corps exprime.

Carence éducative et maltraitance : l’impossible pardon

Se confier à plusieurs interlocuteurs sera parfois nécessaire avant de trouver le bon thérapeute. En effet, nombre d’entre eux n’ont pas la démarche adéquate. Ils cherchent à améliorer la relation de l’enfant avec ses ascendants. Ils s’abstiennent, en toute circonstance, d’accuser les parents, de remettre en cause les méthodes d’éducation dictées par la pédagogie noire. Pourtant, c’est en affrontant les émotions refoulées, au premier rang desquelles figure la peur, que l’adulte pourra se libérer de son passé traumatique. Identifier les causes réelles de la maladie est nécessaire pour conduire à la guérison.

Doit-il pardonner ? Accepter son parent comme il est ? Certains y parviennent, d’autres préfèrent s’éloigner définitivement de leurs géniteurs. Le plus important est de se respecter, d’écouter ses besoins profonds, relayés par le corps. Quand les difficultés vécues dans l’enfance auront enfin été amenées à la conscience et exprimées clairement, l’adulte laissera sortir la colère, le dégoût, la haine. Il arrêtera de mentir, et surtout de se mentir à lui-même. Ensuite, il pourra décider de couper les ponts avec ses parents, ou de leur pardonner.

L’enfant turbulent

Face à un enfant turbulent, deux explications sont avancées :

  • un trouble génétique ;
  • des écarts de conduite ou des caprices, qui aboutissent souvent à ses mesures éducatives plus strictes.

Pour Alice Miller, un enfant turbulent exprime par le corps ses difficultés à communiquer avec ses parents. Ajouter des contraintes ne fait qu’aggraver la souffrance. Les pédothérapeutes hésitent souvent à mettre clairement en cause la responsabilité des parents, par crainte que le sentiment de culpabilité qui en découlerait ne nuise à l’enfant. Or, ils pourraient accompagner la famille, devenir des témoins lucides pour aider à rétablir une communication saine, une relation basée sur un échange sincère de sentiments et de pensées.

Cette communication nutritive, les parents ne la refusent pas intentionnellement à leur enfant. Ils ignorent juste qu’elle existe, car ils ne l’ont pas vécue eux-mêmes dans leurs jeunes années. Le thérapeute peut leur apporter son expertise et ses conseils d’éducation. Il doit alors se positionner comme un soutien de l’enfant, un repère adulte qui lui permettra de ne plus avoir peur et de nouer de nouveaux liens d’attachement à ses parents, basés sur une confiance mutuelle.

➡️ Si vous êtes parent, attention au favoritisme parental que vous pouvez pratiquer parfois sans en avoir conscience.

Ce qu’il faut retenir

Notre corps ne ment jamais d’Alice Miller nous apporte un regard différent sur les carences éducatives, la maltraitance infantile et la violence parentale. L’autrice dénonce les ravages de la pédagogie noire sur les enfants. Devenus adultes, nombre d’entre eux sont enfermés dans l’attente d’un amour ou d’une reconnaissance illusoire de leurs parents toxiques, qui n’arrivera jamais. Leur corps, dans son propre langage, dénonce les mauvais traitements subis. La somatisation s’exprime par des symptômes variés, qu’il faut apprendre à décoder. Pour guérir, la parole est l’unique remède : en se confiant à un témoin lucide, l’enfant devenu adulte parviendra à comprendre son passé pour sortir de l’illusion. Il pourra ensuite s’accorder le droit de ne pas aimer ses parents, couper les liens toxiques ou pardonner.

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