Le consentement : un livre essentiel

Sorti le 2 janvier 2020, Le consentement est bien plus qu’un simple témoignage. C’est un livre essentiel, une fracture. Dans ces pages, Vanessa Springora raconte l’emprise qu’a exercé sur elle un écrivain célèbre. Il avait 49 ans, elle en avait 13. L’art autorise-t-il tous les abus ? Que nous dit ce livre sur l’évolution de notre société ? Comment veiller aujourd’hui à l’éducation sexuelle de nos enfants ?

Le consentement : récit d’une emprise

C’était en 1986. Après le départ de son père, V. élevée par une mère noctambule et insouciante, entre dans l’adolescence. Elle se trouve ingrate, sans attrait. Trop grande, trop plate. Solitaire et perdue, elle cherche à attirer le regard des hommes.

Dans un dîner, où sa mère l’a entraînée, elle fait la connaissance de G. un écrivain célèbre. Quelques regards suffisent pour sceller l’admiration de la proie pour son bourreau. Il ne la lâchera plus.

Le livre nous dévoile la croissance lente et douloureuse de cette adolescente devenue victime d’un prédateur, en six parties aux titres explicites :

1. L’enfant

2. La proie

3. L’emprise

4. La déprise

5. L’empreinte

6. Écrire

En écrivant, elle a pris le prédateur à son propre piège. Lui qui utilisait les lettres de sa victime et le récit de leur relation dans ses livres se retrouve aujourd’hui emprisonné dans ce volume, publié en France chez Grasset et traduit dans de nombreux pays, condamnant à jamais ses actes.

Le consentement : succès international
Le consentement : un succès international / Crédit photo : New York Times

Les années 80 : une époque permissive

Le début du livre est centré sur le destin de la narratrice. Il nous faut comprendre l’enfance, le contexte familial, l’omniprésence de la sexualité dans la vie de cette petite fille, pour arriver à l’issue fatale : l’emprise. Puis le récit se détache de cette relation unique pour interroger notre société sur les exactions de cet homme. Loin d’avoir été condamné par ses pairs, il a été au contraire invité sur des plateaux télé où il parlait librement de son goût pour les jeunes filles et les éphèbes. Il avouait sans honte pratiquer le tourisme sexuel en Asie.

Comment est-il possible d’avoir ainsi mis en lumière des actes illégaux ? La notoriété est-elle synonyme de laissez-passer ? Ces questions, l’autrice les pose dans son livre. Elle interroge une époque qui, suite à la libération sexuelle des années 70, encourageait les hommes à étaler sans complexe leurs conquêtes dans les médias ou dans leurs livres. Elle confronte le milieu littéraire à ses dérives. Son livre fut un séisme : de nombreuses personnes du monde de l’édition se sont repenties suite à sa parution.

Viol ou abus sexuel ? La question du consentement

Les articles consacrés à ce livre, qu’ils proviennent de journalistes ou de lecteurs, interrogent souvent sur la différence entre viol et abus sexuel. Ce deuxième terme semble être utilisé si les actes sont commis sur un mineur, comme c’est le cas ici. Juridiquement, on parle d’agression sexuelle ou de viol. Le viol est une agression sexuelle avec pénétration. Le viol est avéré si on démontre que l’auteur avait l’intention de commettre l’acte et conscience de l’imposer sans consentement.

Si la contrainte n’est pas retenue, la loi considérera qu’il n’y a pas eu agression sexuelle ou viol et ce, quel que soit l’âge de la victime. Et c’est à la juridiction saisie d’apprécier le « consentement » du mineur.
Le Point – 14 novembre 2017

Quel que soit le terme employé, ces actes sont répréhensibles et auraient dû être condamnés. Le procès intenté contre l’écrivain a été annulé pour vice de forme. Une autre femme, Francesca Gee, a alors publié son témoignage sous le titre L’arme la plus meurtrière. Si la majorité sexuelle est fixée à 15 ans, la question d’un âge seuil pour le consentement des mineurs reste en suspens en France. De nombreux pays ont déjà fixé un seuil : 13 ans au Royaume-Uni, 14 ans en Belgique, 16 ans au Canada, par exemple.

Huffington post du 6 octobre 2021 (vidéo concise et précise sur la notion de consentement et l’évolution récente de cette question en France)

[La victime] se croit coupable parce qu’elle regarde les événements passés avec les yeux de l’adulte avertie qu’elle est aujourd’hui. Or, à l’époque, elle ne possédait pas les protections suffisantes pour empêcher l’abus.
On peut aussi l’aider à différencier le point faible dont s’est servi le pervers, par exemple un besoin de tendresse tout à fait légitime, une confiance aveugle, et le crime qu’il a commis, en profitant de ce besoin légitime d’affection ou de cette confiance, pour assouvir ses désirs immoraux.

Extrait d’un article paru sur SOS Femmes

Ma difficulté à lire ce livre

J’ai mis plusieurs semaines à réussir à ouvrir ce livre. Je ne me sentais pas prête. Ce fut une lecture difficile au début, car la naïveté de V. adolescente, son besoin d’amour, son envie d’exister dans le regard d’un homme me rappelait ma propre histoire. Certains extraits comme celui-ci m’avait détournée de l’ouvrage :

À quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter.
Vanessa Springora, Le consentement

La sexualité dans les années 80

J’ai pris conscience il y a peu de l’importance de la sexualité dans les médias pendant mon enfance, dans les années 80. Les émissions de télévision étaient souvent orientées sur ce sujet. La playmate de l’émission Cocoboy faisait son striptease sur l’écran à des heures de grande audience, sous les regards lubriques d’un ou plusieurs hommes. Je n’avais que 7 ans et je regardais, bien malgré moi, ce spectacle. Sur la plage, les femmes se promenaient seins nus. Ne pas le faire, c’était être prude et coincée.

J’ai grandi dans ce contexte de sexualité latente, en appréhendant le jour où le regard des hommes se poserait sur mes formes féminines. Je craignais de devenir femme. Je cachais mon corps d’adolescente sous des pulls très larges. Que ce soit lié au contexte familial ou à la société environnante, j’ai grandi avec une peur croissante de la sexualité, sans repères, sans aide, sans réponses à mes questions.

Éduquer ses enfants dans une société hypersexualisée

La sexualité à l’école aujourd’hui

La société s’est encore davantage libérée aujourd’hui. Internet est en accès libre sans qu’on songe à protéger les mineurs, exposés chaque jour à des images ou des contenus inadaptés pour eux. En tant qu’enseignante, j’ai été confrontée à des situations troublantes :

  • un enfant de 8 ans fait des bruits de halètement en classe ;
  • des élèves reprochent ouvertement à un de leur camarade de parler de sexe ;
  • un élève a vu des contenus pornographiques sur YouTube, auxquels il a accédé à partir de sa console de jeux ; il dessine des organes génitaux sur son ardoise ;
  • une élève a été contactée par un inconnu sur TikTok, qu’elle croyait être une enfant de son âge et qui se révéla être un adulte de 26 ans.

Tout ça arrive à des enfants si jeunes ? Oui.

Le rôle des parents dans l’éducation à la sexualité

Dans le meilleur des cas, les parents participent activement à l’éducation de leur enfant, parlent avec lui, comprennent son mal-être, mettent en mots ces préoccupations et désamorcent l’anxiété qui s’installe.

Pour les autres enfants, ceux qui n’ont pas cette « chance » d’avoir des parents attentifs (comme la petite fille que j’étais)… rien ne sera fait. Ils grandiront avec ce malaise teinté de curiosité, des questions sans réponse sur l’amour et la sexualité, un besoin d’attachement qui laissera des failles, une porte entrebâillée, une ouverture par laquelle un prédateur, attiré par la lumière et la naïveté de la proie, réussira à se faufiler.

Alors si vous êtes parents, soyez attentifs. Des articles et des outils existent pour vous aider à parler de sexualité à votre enfant. L’école ne peut pas tout faire à votre place. Vous êtes responsable de votre enfant et de son éducation sexuelle. Vous êtes son guide, son repère pour écouter, expliquer, repérer les difficultés, accueillir les confidences éventuelles et alerter en cas d’abus.

Parler de sexualité avec son enfant d’âge scolaire

Pédocriminalité, inceste… Comment parler des violences sexuelles à mon enfant (pour mieux le protéger) ?

→ Et pourquoi pas utiliser une bande dessinée ?

Le consentement expliqué aux enfants
©Elise Gravel : BD complète sur son blog

Découvrez d’autres livres qui ont jalonné mon parcours :
Des livres pour changer de vie : mon top 3

Partagez cet article :

A lire également

2 Commentaires

  1. Merci pour ce partage Natacha !
    Un sujet très très important. Je sais qu’à l’école de mon fils, ils ont commencé à appréhender le sujet du consentement justement. Je suis toujours preneuse de livres, pour que ce soit plus parlant pour les petits. Parce que oui à 6ans, 8ans, 12ans on est encore petit par rapport à ces questions. Et quand je vois plein d’enfants qui ont accès à des images qui les traumatisent, ça fait peur.
    Je trouve que 13 ou 14 ans pour le consentement c’est très jeune aussi.
    La sexualité est un sujet important et urgent à traiter. En tant qu’adultes nous nous devons au maximum de protéger les droits des enfants.

  2. Bonjour Marie, et merci pour ton regard de maman !
    Les livres sont de bons supports. As-tu des titres à recommander aux autres parents ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *