Violences conjugales : l’emprise

Il y a quelques années, j’ai quitté le domicile familial. Ce départ était une folie, une fuite. C’était également la seule issue possible. J’étais épuisée par dix-sept années de vie avec le père de mes enfants. Burn out familial ? Peut-être. L’hypothèse d’une relation toxique a germé dans mon esprit après quelques lectures sur le sujet. Insidieusement, le malaise a grandi en moi, comme une nausée qu’on tente de refouler. Je refusais d’accepter cette idée. Avais-je vraiment été victime de violence psychologique ? La révélation, le déclic, la certitude, je les ai eus en écoutant une conférence d’Anne-Laure Buffet, psychothérapeute : Comprendre l’emprise pour s’en libérer.

Violence psychologique : mon histoire

Perdre son identité

Pourquoi reste-t-elle avec lui ? Elle ferait mieux de le quitter ! Ces remarques, vous les avez peut-être formulées (ou pensées) en entendant parler d’une femme battue par son compagnon. Elle reçoit des insultes, des menaces, des brimades puis des coups. Mais elle ne part pas. Pourquoi ?

Il est très difficile de comprendre que l’on est sous emprise. Parfois, on a des doutes, on sent que la relation n’est pas équilibrée, on se dit qu’on serait mieux sans lui ou sans elle (même si elles sont plus rares que leurs homologues masculins, les femmes violentes existent). Mais on n’ose pas se dire que cette situation est violente, que de petites remarques créent de grandes brèches dans notre identité. Après tout, des désaccords, il y en a dans tous les couples, n’est-ce pas ?

Après mon départ, il m’a fallu cinq ans pour me poser les bonnes questions. Cinq ans pour comprendre que le problème ne venait pas de moi, de ma personnalité, de mes « faiblesses ». Mais d’un fonctionnement pervers qui m’avait épuisée et détachée de mon identité. Je n’étais plus qu’un fantôme, un puzzle éparpillé. Comment parvenir à accepter l’inacceptable ? Encore aujourd’hui, il m’arrive de me dire que j’ai tout inventé, que de tels monstres ne peuvent pas exister. Ce sont des vampires, qui s’abreuvent de la force vitale de leurs victimes.

L’emprise nous fait perdre notre identité. Le premier texte écrit sur ce blog s’intitulait : Je suis mon inconnue.

Accepter l’inacceptable

J’ai été victime de violence psychologique.

Comme ces mots sont difficiles à dire, à écrire ! Je sais le choc que représente cette prise de conscience. Je sais le monde qui vacille, les ombres qui apparaissent sur une histoire que l’on croyait belle et romantique. Je sais la brûlure de la trahison. La honte d’avoir été manipulée. Et le regard que l’on porte sur soi : comment ai-je pu me laisser ainsi maltraitée ? Pourquoi n’ai-je pas compris plus tôt ?

Reviennent alors en mémoire ces doutes qui nous ont effleurés, cette intuition qui nous chuchotait que ça n’allait pas, cette envie de disparaître qui nous semblait parfois la seule issue possible. Ces rêves de liberté vite étouffés. La voix de la raison, le sens moral, la pression familiale qui nous poussent à tenir notre rôle, à rester envers et contre tout. Envers et contre soi.

Dominer sa peur

Et puis vient la peur. La peur de lui ou d’elle, de cette personne qu’on a aimée et qui devient subitement notre pire ennemi. Que va-t-il/elle faire maintenant ? Ma vie est-elle en danger ? Un être toxique qui dévoile son vrai visage est terrifiant. Il devient un autre, un bourreau, un monstre. Et notre instinct de survie s’exprime avec une puissance folle. C’est une terreur viscérale, au sens propre du terme. Un nœud dans les entrailles. La peur de mourir.

C’est cette terreur qui m’a poussée à fuir. Sans comprendre ce que je faisais. Sans oser me retourner. Il m’a dit : « Tu pars si tu veux mais je garde les enfants ». Je ne sais plus ce que j’ai pensé à ce moment-là. J’étais ailleurs, dissociée, incapable de réfléchir. Avec le recul, je pense que mon cerveau reptilien a pris le dessus pour étouffer tout possibilité de réflexion. C’était un réflexe archaïque : sauver ma peau.

L’emprise expliquée par Anne-Laure Buffet

Conférence L’emprise, la comprendre pour s’en libérer, Anne-Laure Buffet

Le charme de l’homme parfait

Anne-Laure Buffet est psychothérapeute, spécialiste de l’emprise et de la violence psychologique. Dans cette conférence, elle nous raconte l’histoire de Pierre et Lucie. Quand ils se rencontrent sur les bancs de la fac, Pierre est un bel homme, charmeur et agréable. Il s’intéresse très vite à Lucie, une étudiante calme, réservée, bonne élève. Lucie est flattée que Pierre s’intéresse à elle… le piège de l’emprise se met en place.

Des débuts idylliques

Bientôt, l’amitié se transforme en relation amoureuse. Pierre et Lucie s’installent ensemble. Ils ont un enfant, puis deux, puis trois. Lucie gère le quotidien, s’occupe de tout, n’a plus de temps pour voir ses amies, ne prend plus soin d’elle… Elle subit les remarques de Pierre, souvent contradictoires. Rien de bien méchant, en apparence. Et puis, en public, devant les amis, la famille, il est charmant.

Emprise et confusion mentale

Pierre aime parler : il lui raconte ses journées (car il travaille beaucoup, lui). S’il lui fait des remarques positives, elles sont toujours suivies par « oui, mais…« . Il n’est jamais satisfait. Lucie veut lui plaire, combler ses désirs, être une épouse attentive. Elle s’occupe des enfants avec bienveillance car elle est une mère douce et aimante.

Mais Pierre trouve toujours quelque chose à redire. Ses discours sont longs, flous, avec des avis divergents, des ordres et des contre-ordres, des arguments à n’en plus finir, des digressions sur un détail. Lucie poursuit ses efforts. Elle espère parvenir à retrouver la relation du début, l’homme parfait dont elle était tombée amoureuse.

Perte d’estime de soi : jusqu’au suicide

Mais le temps fait son œuvre. L’usure s’installe. Lucie se perd, Lucie se fatigue, Lucie a mal à la tête. Même si elle fait preuve de bonne volonté, elle ne parvient jamais à rendre Pierre heureux. La culpabilité s’installe : j’aurais dû penser à ça, je devrais faire plus attention la prochaine fois, il a raison, je ne suis pas capable de réussir… Lucie est seule car Pierre l’a peu à peu isolée de ses amis, de sa famille. Elle n’a personne à qui se confier. Enfermée dans ce double rôle de mère dévouée et d’épouse imparfaite, elle perd pied.

Si la victime n’a plus rien, elle n’est plus rien.
Anne-Laure Buffet

Dans l’histoire d’Anne-Laure Buffet, Lucie finit par faire une tentative de suicide, puis deux… jusqu’à l’issue fatale, le terrible féminicide indirect.

Violences faites aux femmes

La suite de la conférence nous décrit l’emprise sous différents angles : la violence psychologique, la violence physique discrète (la victime est sur le qui-vive en permanence), violence qui peut devenir extrêmement dangereuse quand le bourreau sent qu’il perd son emprise sur la victime, la violence sexuelle, la violence économique (qui se poursuit lors des procédures judiciaires).

Anne-Laure Buffet dresse le portrait du pervers narcissique et nous explique les piliers de la communication perverse. Elle s’adresse également aux proches, pour leur demander d’être à l’écoute et de rester présents. Tant que la victime (qui peut être un homme, bien sûr) sent qu’elle peut se raccrocher à quelqu’un, elle n’est pas condamnée.

Une conférence incontournable, à conseiller aux victimes et à leurs proches.

Accompagner un proche victime d’emprise

Il y a quelques mois, une amie, connaissant mon histoire, m’a appelée pour la soutenir. Elle venait de se séparer de son compagnon. Elle entrait dans cette phase de questionnement : était-il toxique ? Avait-elle vécu sous son emprise ?

J’ai écouté cette voix au téléphone. J’ai perçu ses vibrations, son émotion, ses doutes, sa peine. Et j’étais là. C’est la seule chose que je peux faire : être là. Derrière mon écran, comme une présence rassurante. Un phare dans la tempête. C’est essentiel pour les victimes, ce fil ténu qui les raccroche au rivage.

Donner des conseils ne sert à rien. La personne sous emprise doit se libérer seule de cette toile d’araignée dans laquelle elle est engluée. Quand la conscience de la situation est devenue claire, c’est l’instinct de survie qui va la guider. Un instinct primitif qui nous pousse à fuir pour échapper au danger. L’accompagnement d’un professionnel (médecin, psy…) est nécessaire. Être entouré(e). Voilà la clé.

Vous ou un de vos proches avez subi des violences psychologiques. Comment avez-vous pris conscience de la situation ? Quelles ont été les ressources qui vous ont aidées (thérapeute, livre, vidéo, podcast) ? N’hésitez pas à partager votre témoignage en commentaire.


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3 Commentaires

  1. Ce sont les mots d’Anne-Laure Buffet qui m’ont mise moi aussi sur la piste au début. Et puis qui m’ont aidé en partie à me reconstruire, à renaître.
    Le premier pas est le plus difficile mais le plus salutaire.

  2. Bonjour Natacha,
    Merci de partager à nouveau cet article et cette conférence d’Anne-Laure Buffet. Ses mots sont justes et professionnels. Elle sait dire les choses et expliquer l’inexplicable.
    Je crois beaucoup au pouvoir de l’écoute et à l’accompagnement thérapeutique. Mais il faut que la personne soit formée et sensible à ce type de maltraitance.
    Quand je suis partie, je suis allée voir des psychologues et des psychiatres qui m’ont fait encore plus de mal. Jusqu’à ce que je trouve la bonne écoute, et que je refasse surface.
    J’ai souvent pris l’image de la toile d’araignée pour raconter mon histoire, car c’est ce que j’ai ressenti en la vivant et en la quittant.

    Je te souhaite une bonne fin de journée et un excellent weekend
    A très vite ici ou ailleurs!

  3. Merci Marie pour ton suivi attentif et fidèle.
    J’ai retravaillé mon article pour le compléter. Je l’avais écrit en décembre 2019 et pourtant les mots me bouleversent toujours autant. Comme toi, j’associe l’emprise à une toile d’araignée, dans laquelle on est engluées sans parvenir à s’en défaire. Je pense aussi que les bourreaux sont des vampires, qui nous exploitent et se repaissent de notre force vitale. Ils savent cependant toujours ne pas dépasser la ligne rouge, pour ne pas nous épuiser complétement. Ils peuvent être gentils et compréhensifs pour nous redonner espoir quand c’est nécessaire. C’est une quête sans fin : nous essayons de leur plaire, de retrouver le partenaire idéal du début. Il faut vraiment une force surhumaine pour sortir de cet enfer. Tu l’as eue, comme moi.
    Bon week-end, Marie.
    A bientôt !

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